Le roi Arthur est au cœur d’une des légendes les plus populaires de l’Occident, une source inépuisable d’inspiration pour écrivains, artistes et cinéastes. Mais on se pose encore de nombreuses questions sur son identité. Arthur fut-il un chef de guerre celte combattant, vers 600, les envahisseurs anglo-saxons de la Grande-Bretagne ou bien une divinité païenne, assimilée par sa force colossale à l’ours ? Les historiens peinent à répondre. Ce n’est, en effet, qu’à partir du IXe siècle qu’Arthur devient un personnage "historique", le paladin de la résistance des Celtes de Grande-Bretagne contre les Germains venus du continent. Trois siècles plus tard, il incarne le conquérant du nord de l’Europe. On le dit disparu dans l’île mystérieuse d’Avalon où des fées aimantes pansent des blessures. Dès lors, la légende prend son essor : Chrétien de Troyes entre autres romanciers s’en empare ; Merlin et les chevaliers de la Table Ronde y occupent les premiers rôles. Martin Aurell, en revisitant la légende arthurienne, explore le terreau social où elle naît et se développe. Chemin faisant, il s’intéresse aux acteurs des récits, à leurs mécènes, comme aux bardes, jongleurs et autres interprètes qui la diffusent. Croisant fiction et réalité, il analyse en historien de l’idéologie et de la propagande politique l’instrumentalisation d’un récit imaginaire pourtant bien ancré dans la plus réelle des histoires. Une œuvre magistrale.
   
    La démarche de Martin Aurell est non seulement savante mais aussi courageuse, et témoigne d'une interdisciplinarité parfaitement assumée et d'une capacité hors pair à intervenir en tant qu'historien sur un très large corpus de textes de fiction. Ce livre est une somme du savoir arthurien, c'est un très précieux instrument de travail pour tout arthurianiste, enfin c'est une réflexion de génie sur la littérature et la société médiévales; surtout, il sonne le glas à l'idée préconçue que certains corpus sont "adjugés" à certaines disciplines et qu'il y a des remparts piégés entre les types de textes, menaçant de mort certaine les médiévistes "aventureux" qui tentent de les franchir. Pour les recherches arthuriennes aussi bien que pour les études médiévales en général, ce travail sera désormais incontournable; massif, il n'en est pas moins fignolé; érudit, il n'en est pas moins créatif; synthétique, il n'en est pas moins original. Et derrière la figure du souverain Arthur, c'est tout un monde qui s'ouvre devant nos yeux, un monde où princes, rois, bourgeois, clercs ou paysans du Moyen Age avec leurs coutumes, leurs métiers et leurs rêves se régalent ensemble au festin de la Table Ronde. Un grand livre.

Catalina Gîrbea